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Le sport, valeur refuge de la télévision
Le phénomène va s'amplifiant. Au fil des années, les spectateurs sont de plus en plus nombreux à rejoindre ces grands rendez-vous populaires où le coeur des foules bat pour un champion, une équipe, un pays, et où l'adrénaline circule en abondance. Zoom sur les performances du sport à la télévision dans le monde grâce à Eurodata TV Worldwide, le service d'audiences internationales de Médiamétrie.
L'année 2007-2008 a été particulièrement fertile dans ce domaine avec l'organisation successive, dans un laps de temps assez court, de la Coupe du Monde de Rugby, de l'Euro 2008 de football, de Roland-Garros, du Tour de France et, comme bouquet final, la tenue des Jeux Olympiques. Il était tentant de mesurer l'impact de ces manifestations et notamment des JO de Pékin ; également de vérifier si les données culturelles propres à chaque pays en infléchissent le bilan en termes d'audience. C'étaient les objectifs assignés à l'étude « Yearly Sport Key Facts » conduite par Eurodata TV Worldwide sur la période septembre 2007 - août 2008 et couvrant trente territoires dont douze pour la seule Europe. Les résultats donnent à réfléchir.
Un nouveau gisement d'audience
Les parts d'audience obtenues dans chaque pays à l'occasion des JO de Pékin en août 2008 par les chaînes intégrées à l'enquête, par comparaison avec la même période en 2007 (une année moins riche en évènements sportifs) accusent globalement une augmentation certaine. Elle est assez modeste en France (+0,9 point) en Espagne (+1,5) en Allemagne (+1,2 et +1,3). Elle est élevée en Grande Bretagne (+3,9) et surtout aux Pays Bas avec un « bond » de 11,2 points.
Simultanément, les sites internet de sport s'envolent. Par comparaison avec juillet 2007 ils progressent en France et en Grande-Bretagne de 19%, avec un total de visiteurs uniques en août 2008 de 16 millions dans chacun des deux pays. L'Espagne avec 7,8 millions progresse de 22% ; l'Allemagne enfin de 15% soit 13 millions d'internautes attirés par le sport. Dans le même temps, les sites des diffuseurs reçoivent une impulsion marquée. En Espagne, RTVE améliore son score de 12%. En Allemagne ZDF et ARD progressent respectivement de 15% et 49%. France Télévisions capture sur son site 6,9 millions de visiteurs uniques, soit 22% de mieux qu'en 2007.
De la productivité des JO
Premier constat à propos des Jeux Olympiques, ils sont « productifs » pour la télévision : en Europe, dans les douze pays de l'enquête, un investissement moyen par pays de 346 heures d'antenne, correspondant à 16,4% de l'offre sportive totale, aboutit à une part de marché moyenne de 20,6%. C'est encore plus frappant aux Etats Unis où une part d'offre de 8,3% est à mettre en perspective avec un résultat de 20,3% du temps passé à regarder les JO par rapport à l'ensemble des programmes de sport sur les Networks.
Mais les bons résultats globalement obtenus en Europe cachent une grande diversité de situations ; en fait, trois pays sur-performent : l'Espagne, la Russie et le Royaume Uni. Les autres obtiennent des niveaux de consommations inférieures à leur niveau d'investissement en temps d'antenne sportive
Les extraordinaires Pays Bas
En Espagne, les JO exercent un effet particulièrement positif sur les diffuseurs TVE 1 et la 2 - jusqu'à doubler les scores d'audience de cette dernière en semaine 33, celle où les Jeux battent leur plein. Les performances des sportifs espagnols comptent beaucoup dans ce succès.
Même phénomène en Grande-Bretagne, où les téléspectateurs semblent avoir accordé une attention particulière aux Jeux de Pékin parce qu'ils savaient que les prochains seraient organisés à Londres ; et il est particulièrement significatif de constater que la cérémonie de clôture a obtenu sur la BBC1 une audience plus importante que celle d'ouverture, comme le signe du passage du relais. Globalement, la part de marché de la chaîne est passée de 20,6% en 2007 à 24,4% en 2008 ; exploit essentiellement dû au programme en access prime time.
En Russie, la performance est modeste en valeur absolue, mais considérable si on la compare aux résultats habituels, avec une part de marché qui atteint 9,3% contre seulement 1,9% en 2007.
Un cas extraordinaire, celui des Pays Bas qui, avec un investissement/ temps de 236 heures obtient une part d'audience de 48,2% alors que la France qui a investi 390 heures, soit 65% de plus que les Néerlandais, se contente d'une PDA de 19,7%.
Importance de la programmation
Pourquoi ces différences ? Il est clair que plusieurs facteurs entrent en jeu. Et si le temps d'exposition constitue certes un élément important il ne suffit pas, loin s'en faut, à tout expliquer. La programmation, c'est-à-dire l'implantation horaire dans la grille et le type de contenu (live ou différé, reportage ou magazine etc...) joue un rôle parfois décisif.
Aux Pays Bas déjà cités, la chaîne NED 1 doit pour une bonne part son succès hors norme au fait qu'elle a diffusé la retransmission des JO chaque jour de 12 à 17 heures en continu, obtenant sur ce créneau horaire pendant la semaine 33 une part de marché de 54,7%.
En Grande-Bretagne la performance est entièrement liée au programme en access prime time qui atteint en semaine 33 un pic d'audience de près de 40 % avec la mise en valeur des athlètes nationaux.
Aux Etats-Unis la complaisance avec laquelle les dirigeants olympiques ont accepté de décaler en access prime time les compétitions de natation n'est pas tout à fait étrangère au succès d'audience.
L'esprit du Baron de Coubertin
Elargissons le débat, ou plutôt inversons-le. Au-delà des caractéristiques plus ou moins efficaces de l'offre, interrogeons-nous sur celles de la demande. A quelles attentes le sport répond-t-il chez les téléspectateurs ? Bien sûr, le plaisir de voir des athlètes au mieux de leur forme repousser sans cesse les limites de l'effort. Bien sûr, l'exemple que donnent des champions qui ont su se vaincre et progresser toujours. Bien sûr le symbole que représente chaque record, marquant un pas de plus vers la conquête des sommets humains.
C'est là l'esprit du baron de Coubertin qui en ressuscitant les olympiades voulait en appeler aux vertus morales du sport et à son caractère de désintéressement. Même si l'argent, le dopage et la politique sont venus entacher ce bel idéal, il reste valable pour l'essentiel. Ajoutons que les JO de Pékin, pour ne parler que d'eux ont eu le mérite, selon la formule de Bruno Chetaille, président de Médiamétrie, « de fédérer les spectateurs européens et également les internautes ».
Une métaphore de la guerre
Mais comment ne pas évoquer aussi les motivations moins transparentes qui animent nombre de spectateurs des évènements sportifs et donc aussi ceux qui les regardent par la médiation d'un écran ? Le sport est une métaphore de la guerre. Ce n'est pas tout à fait un hasard si l'épreuve la plus exigeante des JO, le marathon, emprunte son nom à la bataille remportée par les Athéniens sur les Perses au Vème siècle avant JC, lorsqu'un soldat dépêché vers Athènes pour annoncer la victoire tomba mort d'épuisement après avoir parcouru à la course les 42 kilomètres qui le séparait de la capitale antique.
Certes tous les supporters ne cèdent pas à la folie agressive des hooligans gorgés de bière et de violence qui viennent dans les stades pour se battre. Il n'empêche que le spectacle est celui d'un combat. Il faut vaincre l'adversaire, le défaire, le repousser dans ses limites. Pour preuve, les signes sans équivoque dont se sert par exemple tel ou tel champion de tennis à la fin d'un match victorieux pour marquer qu'il est le plus fort.
Dans le public l'esprit de clocher s'en mêle, éventuellement le nationalisme, et quand la nature des résultats donne à l'un ou l'autre une occasion de s'épanouir, c'est lui qui dynamise les audiences. Chacun alors se projette et / ou s'identifie aux champions. Exemple : le « phénomène » Phelbs, collectionnant les médailles d'or en natation, et devenu l'idole des téléspectateurs US au point de produire à lui seul des audiences hors du commun. Autre exemple : l'énorme performance accompli par l'Euro sur la chaîne ibérique Cuatro, pour la simple et bonne raison que l'équipe d'Espagne avait gagné la compétition. Souvenons-nous du mondial 1998 en France.
Des sports bien de chez nous
Enfin les phénomènes proprement culturels ont leur mot à dire. Certains sports sont plus intégrés que d'autres à la personnalité de base d'un pays ou d'un autre, à ses traditions, à son mode de vie. Si le cricket - qui d'ailleurs était aux Jeux d'Athènes en 1900 - était réintégré au programme des JO, parions que sa retransmission télévisée recueillerait une super-audience britannique ou encore Indienne.
Aux Pays-Bas, sur la période couverte par le rapport "Yearly Sport Key Facts édition 2008" (septembre 2007 août 2008) c'est le football qui arrive en tête, largement, en termes de rapport offre/consommation, avec une consommation de 46,5% pour une offre de 29,6% ; les JO viennent loin derrière.
En France, pour la même période, le football également s'illustre : 36,9% de la consommation pour 24,7% de l'offre ; il faut savoir que nos ancêtres, dès le XIIème siècle, jouaient à la soule, un ballon de cuir bourré de son ou de foin qu'il s'agissait de porter sur le territoire de l'adversaire, et que ce sport d'équipe est considéré par les historiens comme le précurseur du football et du rugby. Un rugby qui performe lui aussi, avec 16,9% de consommation sur la période 2007-2008 contre une part d'offre de 9%. Sans oublier le cyclisme et le Tour de France, qui comme chacun sait ont été inventés par les Gaulois respectivement courant XIXème et début du XXème siècle.
La France et les JO, affaire de consommation ?
En revanche, les JO ont connu en France, dans l'ensemble, une performance inégale : à une part d'offre sportive qui s'élevait à 24,7% a répondu une part de consommation de 13,3%. Il est vrai que les JO se déroulent en août, en matinée du fait du décalage horaire et qu'il s'agit là d'une période durant laquelle on constate généralement une baisse de la consommation en France. Car c'est bien de cela qu'il s'agit aussi. Le sport télévisé, virtualisé, calibré, programmé, marketé, est devenu un produit dont l'audience fait vendre d'autres produits. Eh ! Oui Monsieur le Baron.
Jean Mauduit
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